ENFANCE CAMPAGNARDE
VERS 1906
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Ce que j’ai commencé à faire tout
seul, c’est garder les vaches. Je me souviens de la première
fois où mon père m’a dit : «Tu as six ans et tu as huit vaches à garder. Tu feras bien
attention, car de chaque côté il y a un champ de blé.» J’avais une bonne chienne, je marchais le long
du champ avec elle, et elle mordait les vaches qui s’approchaient du
champ de blé.
Le propriétaire des champs de blé qui
habitait à deux cents mètres est venu (sûrement pour
voir si mes vaches n’avaient pas fait de dégâts) et il m’a
félicité.
Un jour, j’ai eu très peur, j’étais
dans un champ assis sous une charmille, et à côte de moi le
buisson était moins haut. J’ai entendu un bruit, la chienne a
jappé et une vache a sauté à moins d’un mètre
de moi. Mon père m’a dit que je l’avais échappé
belle.
Cette garde de vache se faisait avant d’aller à
l’école. C’est mon père qui m’emmenait le
matin avec le troupeau, il me laissait et c’est ma mère qui me
remplaçait. Elle m’apportait ma carnassière (sac d’école)
avec mes livres et cahiers d’école, plus mon repas de midi (du
pain et un oeuf). Si on avait un sou ou deux, on s’achetait un hareng
salé ou un cornet de rillons.
Ma mère disait que les oeufs durs ne me
convenaient pas bien, elle me les faisait mous pour que je puisse tremper
mon pain. Un jour un grand est passé derrière moi, il a mis
son doigt dans mon oeuf, ça m’a dégoûté,
je lui ai jeté l’oeuf dans les jambes !
Plus tard, mon père est parti à la
guerre de 1914, j’avais à peine quatorze ans, je restais seul
avec ma soeur et ma mère. Il a fallu assurer le travail. S’occuper
des vaches, les faire manger, nettoyer les étables et faire les
travaux des champs.
C’est surtout ma mère qui trayait les
vaches, sauf une, dont je m’occupais. Toujours la même, elle
avait l’habitude et n’était pas méchante.
À la saison des batteuses, il fallait que je
remplace mon père chez les voisins. Je portais les bottes de paille,
c’était lourd, parfois il fallait se mettre à deux pour
les porter. Je coupais le foin et le blé à la faux, je
savais à peine aiguiser ma faux.
Mon père est resté absent pendant trois
ans. À son retour, je suis allé travailler chez un gros
propriétaire. J’étais payé cent francs par mois,
nourri le midi et le soir. Le soir à la veillée, il nous
faisait plumer les oies, c’était long à faire.
En 1918, un soir en revenant de travailler, je
traversais le bourg, le sacristain m’a appelé pour m’annoncer
la fin de la guerre. Il voulait que je l’aide à sonner les
cloches, mais pour faire plus joli, nous sommes montés avec une échelle
directement aux cloches et on a tapé dessus avec un marteau. Il y a
eu rapidement du monde en bas, et on s’est fait crier dessus. On s’est
arrêté, on est descendu et on a continué à
carillonner mais en tirant sur les cordes. C’est comme ça que
j’ai appris la fin de la guerre.
Fernand COGNE (95 ans)