JE ME SOUVIENS
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J’avais peut-être six ou sept ans lorsque
les noirs soirs d’hiver ma mère m’envoyait à l’épicerie
du village. Il n’y avait ni électricité ni bec de gaz
dans les rues à cette époque si bien qu’elle me donnait
une bougie allumée pour m’éclairer... Malheureusement à
peine étais-je partie que le vent l’éteignait. Ma soeur
ne voulait jamais aller à l’épicerie parce que notre
petit voisin, dès qu’il la voyait, se cachait derrière
un mur et imitait la chouette... Alors, ma pauvre soeur était morte
de peur ! Je faisais toujours les courses parce que j’étais un
peu plus courageuse qu’elle ! Ma grand-mère qui avait des
poules me fit découvrir un jour la manière de les endormir.
Il fallait la prendre entre nos mains, lui mettre sa tête sous son
aile et la faire tourner avant de la poser sur le sol... Alors, elle
dormait ! Quand elle se réveillait, elle trébuchait. Lorsque
les poules avaient la pépie, on devait enlever avec une aiguille une
petite peau qui se situait au bout de sa langue et ensuite on lui mettait
un morceau de beurre dessus. J’avais parfois l’occasion de me
rendre chez des amis de mes parents qui tenaient une ferme. La fermière
me donnait un panier pour que je fasse le tour des champs situés à
côté de la maison dans le but de récupérer les
oeufs pondus par les poules et les pintades. Quand elle mettait les dindes à
couver, elle me disait : “Tu vas mettre
les oeufs avec un morceau de fer dans le nid”.
I1 devait les préserver de l’orage pour éviter
que les petits étouffent dans l’oeuf. Sur le chemin du retour
de l’école, nous rencontrions souvent une dame qui avait un
jardin d’où des petits poulets s’échappaient sur
la route avoisinante. Pour les appeler elle disait : “Venez mes
petits !Lorsque nous revenions de l’école, nous
faisions la même chose qu’elle... Ils nous suivaient et lorsqu’ils
étaient à mi-chemin de chez nous, on leur faisait peur pour
qu’ils repartent chez eux. Ensuite, nous partions pour le vieux château.
On était un groupe de cinq ou six filles. On grimpait tout en haut
de la butte puis on se mettait à cheval les unes derrière les
autres pour dévaler en glissant toute une pente. Il y avait en bas
une fosse avec des têtards qu’on essayait d’attraper. On
faisait aussi sortir les cricris avec un brin d’herbe sèche.
Ceci était souvent notre distraction du jeudi, notre jour de repos.
Quand il y avait de la neige on s’allongeait pour faire notre
portrait.
Aline CAUMET (92 ans)