LE CUISINIER
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Je naquis le 27 avril 1914 à Neuvy-Pailloux. Ma
mère était femme au foyer, mon père cheminot. Suite à
sa mutation, nous nous sommes installés à Pithiviers. Il y
avait foule le samedi au marché. Un pâtissier, proche du
domicile, a demandé l’aide de ma mère pour vendre des gâteaux.
Dès la sortie de l’école, j’allais la retrouver,
je m’installais dans le “laboratoire” où je pouvais tester la qualité de la pâtisserie.
C’est décidé, je serai pâtissier, oui mais voilà...
Je me suis entendu dire : “Va à l’école d’abord”.
J’y suis resté jusqu’en 3e, c’est tout, je n’aimais
pas l’école. Lors d’une conversation avec mon père,
un voisin a fait savoir qu’une connaissance cherchait un apprenti.
Mais voilà, point de gâteaux, c’était un
restaurant. Après une semaine de réflexion, j’ai accepté
pour faire plaisir à mes parents. Quelques jours après, je
voulais m’enfuir, je trouvais les patrons trop c... Pas d’horaires,
très peu de repos, pas de salaire, juste un pourboire les jours de
mariage et de communion. La patronne voulait que je lui donne mes pièces,
et puis quoi encore ! Agacé de nos disputes, le patron y a mis fin
en donnant tort à sa femme. Non mais sans blague !
J’ai dû me plier au souhait de mes
parents, j’y suis resté deux ans. Ensuite, je suis allé
à Fontainebleau à L'hôtel
de la forêt, joli nom n’est-ce pas !
La cuisine était fine, mais la spécialité maison était
la fameuse Alouette de Pithiviers. Nous la mangions de façons diverses, en pâté,
grillée, rôtie en sauce. Prise la nuit dans des filets, il
nous arrivait d’en avoir 1 200 à 1 500 pendues à un fil
de fer tendu dans le couloir. Dans la ville, 8 à 10 personnes
plumaient les oiseaux. La reine des plumeuses s’appelait Mme Dupont,
pas moins de 6 douzaines à l’heure. Pour les vider, nous
appuyions sur le ventre de ces petites bêtes. Savez-vous que les
oiseaux n’ont pas de fiel ? Ça vous épate ? Les années
ont passé, je suis devenu chef, mon métier m’a amené
à changer d’endroit, j’ai côtoyé quelques
personnalités. Aujourd'hui, je n’ai aucune nostalgie, car si
mon métier était passionnant, il était dur et
demandait beaucoup de disponibilité et de rigueur. Ainsi va la vie !
André SOULAT (82 ans)