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MODISTE
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Il y a plus d’un demi-siècle, c’était à la mode... J’ai commencé en 1922. J’avais quinze ans. À la sortie de l’école, il fallait choisir un métier, j’aimais coudre, alors j’ai choisi le métier de modiste. Comment cela s’est-il fait ? Mes parents ont pris contact avec un atelier-magasin d’un modiste place Gambetta à Châteauroux et j’y suis rentrée comme apprentie.
À cette époque, l’apprentie était, il faut bien le dire, la bonne à tout faire. Le travail ? Six jours sur sept... et parfois le dimanche matin. En quoi cela consistait-il ? Arrivée vers huit heures, avant les ouvrières, pour balayer, ranger, faire le ménage, allumer le feu l’hiver dans le poêle, car bien sûr, il n’y avait pas le chauffage central. Puis le travail commençait : apprendre à façonner les formes, à repasser les étoffes, à poser les plumes, à amidonner, tout cela sous l’oeil  vigilant et pas toujours aimable d’une ouvrière-modiste chevronnée. La première année, nous ne faisions que la partie la plus ingrate de ces travaux, entrecoupés de manipulations, rangements, courses en ville, livraisons ...
C’est seulement à partir de la deuxième année que l’apprentie commençait à travailler réellement sur les chapeaux en passant par toutes les phases de confection de ceux-ci. À l’époque, toutes les femmes, ou presque, portaient des chapeaux. Suivant les circonstances, on avait pour les mariages les grandes capelines, les deuils avec les chapeaux noirs et leurs longs voiles cachant le visage,  les capelines printanières en tulle pour les beaux jours, les petits “bibis” avec leur petite voilette, les chapeaux originaux et quelquefois monumentaux pour les Catherinettes du 25 novembre. À l’époque la Sainte Catherine, fêtant systématiquement les jeunes filles non mariées à l’âge de 25 ans, était le prétexte d’une grande fête sur tous les lieux de travail.
Notre atelier comptait une huitaine de modistes confirmées et deux ou trois apprenties. Châteauroux, dont la population était de très loin inférieure à celle d’aujourd’hui, comptait au moins une dizaine d’ateliers-magasins de modiste comme le nôtre.
Les horaires de travail étaient draconiens : 8 h - 12 h, 14 h - 19 h tous les jours et très souvent le dimanche matin, à l’approche des fêtes périodes pendant lesquelles il nous arrivait de travailler jusqu’à 20 h 30, sans paiement d’heures supplémentaires bien entendu ; cela ne se faisait pas et il était hors de question de protester ou de refuser de travailler.

Au fait, je pourrais expliquer comment on fabrique un chapeau ! Les premiers travaux se faisaient sur la calotte en bois, sorte de bille de bois représentant la forme d’une tête. Nous la mesurions et formions dessus la base du chapeau, soit à l’aide de tiges de graminées séchées et tressées (Sparterie), base qui était ensuite recouverte par le tissu. Ensuite, intervenait la phase la plus amusante : la pose des garnitures plumes, fleurs, feuilles, oiseaux stylisés en tissu... au gré de l’imagination, et suivant le dessin de la cliente. L’apprentissage, comme dans la plupart des métiers de l’époque, n’était peut-être pas agréable mais dès ce passage obligé et indispensable franchi, l’exercice de cette profession était assez plaisant.

J’ai exercé ce métier jusqu’en 1931, année de mon mariage. J’ai quitté alors l’atelier et j’ai continué encore quelque temps chez moi pour cesser définitivement plus tard et me consacrer à mon foyer.

Malheureusement, la tradition de porter des chapeaux s’est perdue. Il semblerait toutefois que le port du chapeau ferait un timide retour, surtout chez les jeunes femmes. Peut-être reverrons-nous un jour remis à la mode ce complément si gracieux et utile de la parure féminine.



Fernande AUGRAS (87 ans)


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