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ADIEU STALAG
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Fait prisonnier, le 18 juin 1940 à Dan-Joutun (Belfort), nous sommes acheminés par étapes à Mulhouse-Neuf-Brisach où nous embarquons à Alt-Brisach (Allemagne) pour être conduits au Stalag 7.A à Moosburg (Bavière).
De là, je suis envoyé en commando n° 1848 à Allach (12 km de Munich) sous le matricule 47.824 et affecté comme manoeuvre dans l’usine “Krauss-Moffei” où l’on fabrique des locomotives.
Je deviens camarade avec Giraud Henri (expéditeur en fruits à Saint-Rambert-d’Albon dans la Drôme), et nous décidons de préparer une évasion ensemble.
Le commando se trouve à environ trois cents mètres de l’usine : au début, il comprenait deux baraques gardées militairement par un détachement de la Wermacht qui se composait de six hommes dont un sous-officier. Le commando était clos d’une double rangée de fils de fer barbelés. Tous les matins, on nous rassemblait dans le commando, puis après l’appel, quelquefois très prolongé, nous étions conduits, escortés de sentinelles jusqu’à l’usine où la police allemande assurait notre garde. Elle disposait de quelques chiens spécialement dressés, qui faisaient le tour de l’usine plusieurs fois par jour.

Pendant les cinq mois qui précédèrent notre évasion, et pendant lesquels nous avions confectionné des vêtements civils tels qu’une veste taillée dans une capote verte de l’armée polonaise et la transformation d’une veste de chasseur alpin en un veston bavarois avec le col vert, les revers assortis et une martingale.
Des Allemands non fanatiques du National-Socialisme, avec lesquels nous travaillions, ont contribué à notre évasion. Entre autre, nous avons eu souvent l’occasion de faire échanger de l’argent français contre des Reichmarks. Nous avions fait, le dernier mois, provision de plusieurs boules de pain qui devaient nous permettre de faire le voyage. Et, quand tout fut prêt, la veille de notre départ, nous faisions part de notre intention à deux compatriotes qui avaient pour mission de nous assister comme suit. Le lendemain matin, sur les rangs, avant l’entrée de l’usine, ils devaient reprendre leurs manteaux respectifs qu’ils nous avaient prêtés la veille, pour dissimuler nos vêtements “fantaisistes” que nous avions confectionnés.

Le grand jour arrivait et tout se déroula comme prévu. Au signal convenu, nos deux comparses reprirent rapidement leur manteau en même temps que nous mettions nos coiffures civiles. Nous bousculions les autres camarades à l’instant même où la colonne allait franchir la porte d’entrée de l’usine... Nous passions devant les sentinelles dissimulant notre émotion du mieux que nous pouvions, et nous nous dirigeâmes vers la petite gare située à quelque cent mètres de là.
Je dois préciser également que pendant les quelques mois qui avaient servi à préparer notre évasion, j’avais, avec le concours des Allemands, appris à parler les quelques phrases utiles pour acheter des billets de chemin de fer... Je crois que je les prononçais correctement car on ne me fit jamais répéter lorsque j’eus à m’en servir.
La première étape se fit de Allach à Munich. Elle fut très courte. Nous prîmes le train à 6 h 58 pour arriver à Munich à 7 h 14. Là encore, nous prîmes deux billets pour Ulm, départ de Munich à 8 h 22 pour arriver à 12 h environ. Nous avons été quelque peu effrayés pendant le dernier trajet : un contrôle de billets suivi d’un contrôle militaire. Nous fûmes épargnés et le train put partir de Ulm vers 15 h pour arriver à Freiburg vers 17 h sans incident notable à l’exception d’un militaire allemand qui essaya de converser avec moi. Ceci ne me disait rien naturellement, pour éviter cette confrontation pernicieuse, je plongeais mon regard dans mon indicateur de chemin de fer. Je dois préciser que nous portions les insignes du “Parti National Socialiste - Secours National” et nous étions munis de journaux allemands tels que “Arbenten Front” et “Munichen Zeitug” qui dépassaient, non sans raison, de nos poches. Ceci provoquait certainement des conversations, mais cela nous permettait d’éviter aussi, à mon sens, les vérifications de papiers qui étaient très multipliées à cette époque.
Nous arrivons donc à Freiburg, quelques minutes d’attente, et nous prenons un train de voyageurs, le dernier pour Alt-Brisach en bordure du Rhin, où nous arrivons à 20 h... Nous étions toujours le 2 novembre. Un train de marchandises était là, prêt à partir. La locomotive attelée en direction de l’Ouest. Nous prîmes place dans une vigie et après quelque vingt minutes d’attente, le train démarra, passa le pont du Rhin, ce qui nous préoccupait beaucoup car c’était un fameux obstacle à franchir. Tout se passa très bien, le train s’arrêta de l’autre côté à Neuf-Brisach et là nous descendîmes. Il faisait nuit. Nous prîmes la voie jusqu’à la gare où nous attendîmes jusqu’au matin le premier train pour Colmar. Là encore une petite émotion... Le train n’allait pas jusqu’à Colmar car un pont avait sauté. Tous les voyageurs descendirent et nous fûmes transportés par autocar jusqu’à Colmar. Un officier allemand prenait les billets à la descente des voyageurs. Il parlait à chacun... Qu’allait-il nous demander ?... Qu'allions-nous pouvoir lui répondre ? Il n’en fut rien. Il prit nos billets sans rien dire.
Nous partons de Colmar à 8 h du matin : nous sommes le 3 novembre. Nous prenions la direction de Mulhouse que nous atteignîmes à 11 h. Équipés de la sorte quelques regards se posaient sur nous. J’avoue que l’habillement devait être assez remarqué. Nous entrâmes dans un hôtel où plusieurs Allemands étaient attablés. La patronne vint à notre rencontre et nous demanda ce que nous voulions. Je répon-dis : “Kaffee mit Milch” (café au lait en allemand). Je lui demandai si elle parlait français, et c’est ainsi que je lui fis savoir que nous étions des évadés. Vite, elle nous dit : “Ne restez pas ici... Montez au premier, vous serez plus en sécurité”.
Nous fîmes la connaissance d’une dame qui nous invita à déjeuner avec ses amis et nous habilla : mon camarade d’un costume et moi d’une gabardine. Elle nous donna à chacun deux cents francs pour poursuivre le voyage. L’un de ses amis, ingénieur dans une usine, nous conduisit à la gare. Il s’occupa de prendre nos billets et nous donna quelques renseignements. Notamment, il nous conseilla de descendre à Montre-Vieux pour éviter le contrôle sévère de la nouvelle frontière.
En arrivant à Montre-Vieux, je pris contact avec des cheminots qui nous firent traverser la frontière dans la nuit et nous recommandèrent au chef de gare de Montre-Château, lequel nous fit embarquer dans un train de marchandises se dirigeant vers Dôle (Jura). Nous arrivâmes vers 12 h. Nous eûmes une fois de plus recours aux cheminots qui nous installèrent dans un autre train de marchandises. Nous étions cachés dans un wagon de charbon car à Seurre, il y avait le contrôle de la ligne de démarcation. Une fois de plus, la chance était avec nous ! Le train repart pour Ambérieu... Nous sommes en zone libre.
Une pluie battante se mit à tomber nous fouettant le visage et nous trempant jusqu’aux os pour cesser à Bourg-en-Bresse. Nous étions de la même couleur que le charbon qui nous dissimulait. Les cheminots de la locomotive nous accueillirent et nous restaurèrent. Nous en profitions pour sécher nos vêtements, et nous réchauffer devant le foyer de la locomotive. Arrivés à Ambérieu, nous prîmes un train militaire pour Lyon. J’accompagnai mon camarade jusqu’à Saint-Rambert-d’Albon d’où je repartis le lendemain pour Châteauroux. J’avais hâte de revoir ma famille dont je n’avais pas de nouvelles depuis un certain temps. Je retrouvai tout le monde en bonne et parfaite santé. Le cauchemar était fini pour moi. J’ai souvent pensé aux camarades qui sont restés là-bas, et qui ne sont rentrés que cinq années plus tard.


Charles PEYROT (92 ans)


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