ARGENTON-SUR-CREUSE
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Il y a eu la débâcle, les gens venaient
par la route de Châteauroux avec leurs valises et montaient sur
Limoges. On ne pouvait pas circuler dans les rues tant il y avait de vélos,
de petites poussettes, de remorques, même dans les corbillards... Il
faisait très chaud, les gens couchaient dans les couloirs...
Puis il y a eu le bombardement, le 29 juin, ils
portaient les morts dans des couvertures directement au cimetière
entre les alertes, et il y avait le couvre-feu.
À l’atelier où je travaillais,
nous descendions à la cave, mais on avait peur qu’une bombe
tombe sur l’usine. On nous faisait monter dans un chemin sur la route
de La Châtre. Puis il y a eu une prise d’otages. Les Allemands
ont emmené cent dix hommes au Petit Nice
pour les fusiller. Ils les ont fait mettre de
face ou de dos, et c’est le professeur Kubel qui les a sauvés.
Le 9 juin 1944, ça a été la
tuerie. Il y a eu soixante-deux morts. Ils faisaient sortir les hommes et
les tuaient devant leur porte. Le lendemain, on les a ramassés avec
des brouettes et de petits chariots. On les a tous mis dans la petite
chapelle pour les nettoyer, ils étaient sur des couvertures en
attendant les cercueils.
Les familles ne pouvaient pas venir car le pont du
train avait sauté. Pour les emmener au cimetière, on les a
tous mis sur des traverses et c’étaient de grandes charrettes
qui les montaient, sept par voiture. Il y avait un avion qui nous
volait au-dessus. Le commissaire avait dit qu’il voulait un grand
silence car on nous aurait pris. Nous représentions les familles qui
n’avaient pas pu venir. Il y avait beaucoup de monde. C’était
triste ! Le photographe avait quand même pris des photos que nous
avons achetées.
Il y avait une dame et ses deux jeunes filles, que son
mari avait fait sortir de Paris. L’une est décédée
le lendemain, on l’avait emmenée au champ de foire, le prêtre
est allé la voir. Elle lui a raconté toutes les orgies que sa
mère et sa soeur avaient subies pour qu’il puisse le dire à
son père, et elle est décédée dans la journée.
Aline CAUMET (92 ans)