UNE VIE DE MISÈRE
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Je suis partie de chez mes parents à l’âge
de cinq ans. Ils ne pouvaient pas s’occuper de mon frère et de
moi si bien que nous fûmes recueillis par notre tante. Lorsque j’ai
eu dix-sept ans, je fus placée comme bonne à tout faire, mais
l’expérience ne fut pas concluante, alors elle me laissa à
l’Assistance Publique de Paris... à Denfert-Rochereau... Je ne
savais ni lire ni écrire, et à vingt et un ans je fus envoyée
à l’Asile Hospice de Saint Denis à Châteauroux. À
cette époque, il était tenu par les Soeurs. Je travaillais
tous les jours, même le dimanche et les jours fériés.
Je lavais le linge toute la journée avec une brosse au bord de la
rivière. L’été la tâche était agréable...
mais l’hiver... on avait les mains gelées par le froid et il
fallait quand même laver tout ce linge.
Je me levais à 6 h pour commencer le travail à
7 h, je déjeunais à 11 h 30 et je me mettais de nouveau à
l’ouvrage de 13 h à 17 h 30. On dînait à 18 h 30
et on se couchait vers 19 h 30 dans les dortoirs qui n’étaient
même pas chauffés en hiver.
Je me souviens que les Soeurs nous interdisaient de
manger les prunes du prunier de St Denis... elles se les réservaient
!
Elles étaient très sévères
avec nous... on n’avait pas le droit d’adresser la parole à
quelqu’un d’étranger à la maison... on n’avait
pas le droit de parler à un homme... gare à celle qui n’obéissait
pas à ces règles. Il y avait un cachot dans la cour du “2”...
une cabane en pierre avec une porte et un guichet de 20 cm sur 20 cm où
les Soeurs passaient la nourriture à la pénitente. On était
éclairé par un vasistas et il y avait une paillasse et pas de
chauffage... c’était pire que les prisonniers !
C’est vers l’âge de cinquante ans que
je suis arrivée aux Grands-Chênes... je continuais à
laver le linge et à le repasser... mais la vie était beaucoup
moins difficile qu’à St Denis.
Maintenant, à soixante-seize ans, j’ai
une vie de repos ! Quand je pense à ma vie de misère, je me
dis que je n’ai pas été gâtée !
Thérèse DESVEAUX (76 ans)