MAUD
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Nous nous aimons beaucoup ma petite Maud et moi. Pour
finir de combler notre joie nous attendons un enfant. Nous allons suivre
attentivement cette grossesse. Le joli petit corps de Maud commence à
se déformer, son ventre grossit de jour en jour, sa taille fine s’épaissit,
son corps se dilate pour laisser sortir de ses entrailles l’enfant
tant désiré. L’enfant continue à se former, à
remuer dans son corps. L’heure est arrivée, Maud commence à
souffrir ; elle pousse... fait des efforts, son ventre continue de se
dilater, à s’ouvrir pour laisser le passage à l’enfant...
On aperçoit sa petite tête, et tout à coup on entend un
cri : il est né notre petit homme, il entre dans le royaume des
humains. Une joie immense s’empare de nous... Nous admirons notre
Ludovic adoré. Quand ses yeux verront le jour, quand ses petits bras
roses se tendront vers nous, accompagnés d’un joli visage
rayonnant de joie, que cette gracieuse petite bouche prononcera péniblement
ces mots affectueux “maman”, “papa”, notre bonheur sera comble. Nous le chérirons
beaucoup plus. Elle était belle ma Maud chérie quand elle
portait dans son ventre notre Ludovic. Elle était encore plus belle
quand son corps tout dilaté s’ouvrait pour laisser passer
notre petit homme. Je remercie du plus profond de mon cœur ma jolie
femme Maud de m’avoir donné un beau garçon. Tous les
deux avec un grand plaisir, nous allons prendre Ludovic par la main pour
diriger ses pas dans ce mystérieux tourbillon qu’est la vie.
Notre petit gars grandit maintenant, il commence à devenir un homme
qui travaille très bien à l’école. Nous en
sommes fiers. Il a quinze ans. Nous avons fait beaucoup de projets pour
notre petit. Malheureusement, ils ne seront pas tous réalisés.
Notre Maud est malade, nous allons consulter un docteur car elle souffre
beaucoup. Il l’ausculte... En cachette, il nous annonce qu’elle
a la maladie d’Hopkins. Nous allons voir un spécialiste qui
nous dit la même chose... Elle n’est pas opérable tant
la maladie est développée.
En accord avec les médecins, nous essayons de
devancer la maladie pour freiner son évolution, pour que notre Maud
chérie reste le plus longtemps possible parmi nous. Ludovic et moi
avons fait le serment d’aider Maud à supporter ses grandes
douleurs. Nous la chérirons... Je la prends dans mes bras, la
couvrant de baisers... Je lui offre de belles fleurs, les cadeaux qu’elle
désire... Avec un sourire si triste, elle retombe dans sa morosité.
Nous l’observons discrètement... Elle maigrit de jour en jour,
son beau visage est triste et sombre... Elle souffre toujours beaucoup.
Elle ne se plaint pas pour ne pas nous faire de la peine. Nous avons l’air
joyeux, et combien nous lui cachons notre profond chagrin. Elle dépérit...
Elle parle très peu... Il lui reste peu de forces, tout son corps
est rongé par la maladie. Son visage se crispe de plus en plus,
devient de plus en plus blanc... plus rien ne l'intéresse. Nous la
cajolons. Je la prends dans mes bras... Je caresse cette triste figure...
Il n’y a pas beaucoup de réactions. Elle était si
joyeuse. Parfois, elle désire faire une promena- de ; alors
nous nous tenons par la main, marchant tout doucement, aucun son ne sort de
nos bouches... Dans un immense silence, nous nous communiquons notre grande
souffrance. Quand nous rentrons, ma petite compagne est très fatiguée,
elle s’asseoit dans son fauteuil et il arrive que je surprenne ses
beaux yeux emplis de larmes. Je caresse ce douloureux visage... pas de réaction...
Comme elle souffrait ! Je me suis toujours reproché d’avoir
manqué de courage, peut-être que si nous avions parlé
avec Maud chérie de sa maladie, nous l’aurions aidée à
supporter ses souffrances. Notre cœur nous faisait mal et c’est
en cachette que nos yeux pleuraient... Elle se sentait partir de jour en
jour... Elle sentait la mort approcher. Ramassant toutes ses forces et son
courage, elle nous a donné un baiser en guise d’adieu... De
grosses larmes coulaient sur son visage... Nous lui avons rendu
amoureusement un baiser d’adieu. Faisant un grand effort, elle nous a
fait un triste sourire qui nous fit grand mal. J’ai pris ma petite
Maud dans mes bras... Je l’embrassais et mes larmes coulaient sur ce
beau visage. Elle ne souffrait plus... Vêtue d’une jolie robe,
nous avons couché notre Maud chérie au milieu de dentelles et
d’un joli satin mauve. Et sur son front, tout en pleurant à
chaudes larmes nous déposions un dernier baiser. Au milieu de
fleurs, tous les deux avec notre plaie au cœur, nous avons conduit
notre adorable compagne à sa dernière demeure. Tous les
soirs, j’allais me recueillir sur sa tombe que je fleurissais de
roses rouges, symbolisant notre grand amour.
Un jour que l’angélus sonnera emportant
ma vie... alors, je rejoindrai ma petite femme adorée... Côte à
côte nous dormirons notre sommeil éternel.
Simone LEVY-LORY (83 ans)