SOUVENIRS... SOUVENIRS
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Pendant cinq ans, j’ai habité Chambéry
et malgré tout ce temps passé depuis 1913, j’en ai gardé
une nostalgie et plein de souvenirs dont celui-ci entre autres. Chaque
printemps commençait la transhumance où, pendant des heures,
passaient des troupeaux de moutons regagnant les alpages. Plusieurs bergers
et des chiens qui n’en finissaient plus de leurs allers et retours, s’assurant
de la bonne marche de tous ces moutons. Pauvres chiens qui multipliaient la
distance réelle par combien de kilomètres... Chaque petite bête
portant un chiffre sur le dos afin que son propriétaire s’y
retrouve. Masse bêlante, aux petits sabots retentissants qui l’annonçaient
bien avant qu’elle ne fût en vue. Incroyable maintenant qu’un
tel déferlement puisse défiler dans une ville pendant des
heures. La circulation habituelle, il faut le dire était très
calme et restreinte. Inutile de dire que tous les enfants ne pouvaient résister
au désir de se faufiler au milieu de toute cette masse, pour des
caresses qui ne faisaient qu’intensifier les bêlements. Quelle
cacophonie, mais n’était-ce pas cela que nous recherchions ?
Une odeur de purin et tant de petites crottes noires essaimées au
passage, c’est tout ce qui en restait quelque temps encore. En queue
du troupeau, des mulets étaient attelés à quelques
carrioles aux bâches arrondies, en toile verte. Lesquelles
contenaient des provisions sans doute pour ces bergers, coupés du
monde pendant des mois, mais surtout les tout petits agneaux, trop petits
pour parcourir de grandes distances, et de futures mamans brebis.
Et l’automne arrivait, qui ramenait tous ces
moutons gras et repus pour passer l’hiver. La joie n’était
plus la même à cette perspective ! Car à l’époque,
il y avait des saisons...
Beaucoup de personnes logeaient alors au grenier,
mieux protégées du froid par cette espèce de
couverture de neige. Laquelle commençait à fondre aux
premiers rayons du soleil de mars. Que d’accidents dus à ces
mini-avalanches qu’on évitait plus ou moins en circulant sur
la chaussée, chaque toiture se débarrassant de sa parure
hivernale. Les premières violettes fleurissaient.
Et puis l’été, jamais de chaleur
accablante, les nuits étaient fraîches en raison des montagnes
et il n’y avait pas de grand vent. L’idéal... J’y
ai même appris à aimer les orages. Oui ! Le ciel, les coloris
divers sur ces montagnes si belles pourtant. On ne pouvait plus compter les
coups de tonnerres qui allaient se répercutant dans un grondement de
fin du monde (je suppose !). Et il m’a fallu quitter tout cela.
Adieu Savoie dont je n’ai connu ni les buildings
ni la cohorte de voitures... Chambéry sur un axe routier... Merci !
Marie-Thérèse SAUVAGET (92 ans)