DE SAVOIE ENCORE :
JE ME CROYAIS DéJÀ…
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C'est donc à mon arrivée en
Savoie, à dix ans, que j’ai enfin pris goût à l’école.
Accueil formidable, les institutrices craquant devant mon accent de la
Touraine... À Chambéry, on parlait encore un mélange
franco-italien. I1 est vrai que le rattachement de la Savoie à la
France ne remontait qu’à 1870 et quelques années. Bref,
je ne me mis à travailler qu’en fin d’année
scolaire, j’allais décrocher tous les prix. L’estrade,
la foule, la robe blanche des grandes occasions, en un mot, la gloire. Une
grande ombre au tableau, mon père absent pour cette cérémonie.
Militaire de carrière, depuis le mois de mai il était à
Lyon, dans un fort pour vérifier les ambulances de l’armée,
en réalité pour préparer la guerre. Et autre mauvais
coup, le maire de Chambéry venait de se suicider. Plus tard, on a
parlé d’espionnage. Donc toutes les cérémonies
ont été supprimées. On prévenait les enfants
concernés de venir le lendemain retirer leurs prix à l’école,
sans tambour ni trompette. Et au moment même où je récupérais
les miens, le “Bourdon de Savoie”, le tocsin sonnait, lugubre, j’en ai encore le
son dans les oreilles : la guerre ! Muets, nous nous regardions les uns les autres.
Et puis, je suis revenue chez moi pour y retrouver une maman bien triste. J’ai
déposé mes prix dans un coin, ils ne signifiaient plus rien.
Notre angoisse : allions-nous revoir Papa ? Oui, il
avait risqué le conseil de guerre pour venir nous embrasser avant ce
grand départ. L’aile de la gloire n’avait vraiment fait
que m’effleurer. Rien n’avait plus d’importance, quatre
années se sont écoulées où j’ai continué
à cravacher pour faire plaisir à mon père, lui adoucir
son sort (ce que je pensais !). De rares et courtes permissions où l’angoisse
du départ avait priorité sur le bref bonheur de ces
retrouvailles. La dernière, courant septembre 1918, retour au front
et le 7 octobre, je n’avais plus de papa. Maman ne pensait plus qu’à
retrouver sa famille à Châteauroux. Là-bas, autre
moment douloureux : les cloches de l’armistice... Change-ment d’école
donc, dépaysée, déçue à la fin de cette
année scolaire, j’abandonnais tout. Finies les études,
une autre vie s’ouvrait devant moi !
Marie Thérèse SAUVAGET (92 ans)