BAPTÊME AUTOMOBILE
EN 1911
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C'était vers 1911, toute jeunette, que je
reçus mon baptême de l’automobile.
On ne disait pas encore une voiture ! Nous
demeurions à Tours près du jardin botanique où ma
jeune et belle dame vint un jour s’installer en face de ma maison.
Habillée comme les mannequins de la Rue Nationale, parfumée,
maquillée, je l’admirais et sus faire sa conquête ;
conviée chez elle, je m’y sentais à l’aise.
J’assistais au déballage des cartons qu’elle
recevait des grands magasins de Paris : toilettes superbes, dessous
affriolants faits de dentelle et de rubans.
Un beau Monsieur venait souvent chez elle (j’ai
appris par la suite qu’il l’avait épousée).
Immensément riche, il la laissa veuve peu après. Il possédait
une Dedion Bouton rutilante
de partout, tous les gosses du quartier venaient l’admirer. Un jour,
faste pour moi sans doute, je fus invitée à monter dans cette
merveille ; installée dans le spider, le roi n’était
pas mon cousin.
Nous allions de temps en temps jusqu’à
leur propriété “La Châtaigneraie”, grisés par la vitesse, toute la poussière
que nous projetions derrière et qui parfois m’aveuglait, fière
des regards admiratifs (que je prenais à mon compte) que suscitait
cet engin, un ange du ciel ne pouvait pas être plus heureux. Tous les
deux équipés en conséquence : Monsieur portait manteau
en peau, casquette à visière arrière, grosses lunettes
; Madame, encapuchonnée sous une énorme voilette, laquelle
maintenait un immense chapeau fait de plumes, de fleurs, de rubans qui n’aurait
demandé qu’à s’envoler.
Mais il y avait le retour où il fallait
redescendre sur terre moralement et physiquement. Je n’en finissais
plus de casser les pieds à mes parents, avec tous les détails
de mes équipées.
Et puis un jour, nous sommes partis pour Chambéry
où j’ai connu d’autres joies certes, mais le souvenir de
mes promenades en automobile avait été un des plus beaux
souvenirs de ma jeune vie.
Marie-Thérèse SAUVAGET (91 ans)